|C'est Parce que je souhaite des changements
que le Soleil se lèvera ce Matin||

Quand la lune se couche dans l’horizon, un nouvel ère se réveille dans la lumière. Une renaissance, un nouveau départ, et pourtant, rien ne changera beaucoup entre le passé d’hier et le présent d’aujourd’hui. Mais tout changera aussi. C’est compliqué à formuler. Même moi, j’ai de la misère à me l’imaginer. Mais voyez-le ainsi, je tenterais du mieux de vous le décrire comme je l’aperçois. Ce que nous venons de vivre est une renaissance, mais une mort en même temps. Notre forêt adorée a péri sous les flammes, mais son sacrifice apportera un nouveau départ à son existence. Toutes les souillures qui avaient taché son feuillage allaient être purifiées. Le Clan des Étoiles avait bien fait, et je comprenais la nécessité d’avoir commis pareil acte sur nos bois. Cependant, l’amertume que je ressentais envers les chefs, les véritables instigateurs de ce fléau divin, ne me permettait pas de profiter amplement de ce renouveau. Ils m’écœuraient. Ils me dégoûtaient. Comment des représentants du Clan des Étoiles pouvaient se permettent le luxe de la trahison? Ils avaient bafoué le code du guerrier. Pas un, pas deux, mais les quatre chefs n’avaient pas respecté les paroles anciennes de notre histoire. Le Code du guerrier n’était donc rien pour eux? Ils n’en avaient que faire de nos ancêtres qui avaient, depuis la nuit des temps, garder un œil protecteur sur leur progéniture mortel?

Je n’acceptais pas ses excès! Les meneurs actuels n’étaient pas dignes d’être à la tête de nos clans! Les guerriers de jadis l’avaient prouvé. Ils n’étaient que d’infâmes pêcheurs.  Et c’était écœurant.  Vraiment écœurant. Leur Clan n’était donc rien pour eux? Avec leur histoire d’amour éternelle, d’idylle interdit, ils n’avaient même pas pensé s’occuper de leur propre famille, qui se battait pour eux, qui leur faisait confiance, alors qu’ils ont passé à l’ennemi. Quand j’observais, du haut de cette corniche, l’étendue dévastée et grise de nos anciennes terres, je me disais que nous n’en serions jamais arrivé là si les chefs n’avaient pas décidé d’en faire qu’à leur tête. L’un avait payé de sa vie, s’était bien fait pour lui qui avait bafoué le code du guerrier, les trois autres vivaient toujours, gardaient tout de même leur poste de chef. C’était inadmissible. Pourquoi les guerriers ne se révoltaient pas? Avaient-ils trop peur? Leur faisaient-ils encore confiance? Ils ne devaient pas, ils avaient causé cet incendie! C’était de leur faute si le Clan des Étoiles s’était fâché contre nous. S’ils continuaient d’être à notre tête, nous verrons notre existence détruite à tout jamais. Nous ne pouvions pas les laisser impunis comme ça. Ils avaient enfreint une règle du code d’honneur d’un guerrier de la forêt, ils devaient en payer le prix. Peut-être que le Clan des Étoiles leur avaient déjà enlevé leurs neuf vies. Peut-être qu’ils usaient de leur statut de chef en toute illégalité.  

Assise sur le bord de la corniche, les yeux perdus dans la contemplation de notre forêt en contrebas, vierge et poussiéreuse de cendres, je me jurais de régler moi-même ce malentendu. Oui, j’allais faire de cette forêt un endroit pur où il faisait bon y vivre. Sans faute. Sans impureté. Simplement un Univers où nous ne considérions jamais les propos du Clan des Étoiles. Et où nous leur resterions fidèles, sans lubie et excès hypocrites.  

Peut-être me prendriez-vous pour une égoïste sans cœur, à constamment échafauder des plans pour renverser une chatte qui n’avait fait que suivre son cœur, et pour ne pas y aller dans l’hypocrisie, vous aviez raison. Elle n’était plus qu’une chatte qui, de jour en jour, abandonnait la saveur de la vie, car cette dernière lui avait enlevé ce qu’elle tenait de plus cher, alors je ne voyais pas pourquoi la couronne ne pouvait être mienne si elle la délaissait pour un amour perdu, impossible.  Étoile de la Buse n’était plus elle-même depuis la mort de son cher et tendre bien-aimé. Dans son sillage, elle marquait son Clan du goût amer de son désespoir, de sa tristesse et de sa fragilité apparente. Elle nous emmenait dans sa chute, lentement, doucement, mais elle nous y entraînait, inexorablement. Une caresse glaciale s’infiltra dans ma fourrure, parsemant ma peau de morsures désagréables, comme si des dizaines de petites souris me mordaient avec leur dentier édenté. Signe du ciel ou simple intolérance à sentir le froid des falaises? L’un ou l’autre, j’en avais plus qu’assez de toute façon. Ses terres de pierre et de falaises rocheuses; ce n’était pas mon élément, notre élément, à nous, guerriers du Ciel. Nos territoires devaient se composer de plaines étendues, de steppes herbeuses aux végétaux xénophiles. Et nous voilà coincé ici, sur ses sols de fournaise, qui chauffaient nos coussinets, sur ces monts à pic, qui nous interdisaient de courir dans le vent, à notre guise. Combien de fois avais-je rêvé de retourner dans ma litière de linceul? Sous le ciel étoilé, en compagnie des bruits nocturnes, et non prise dans ses… grottes, souterrains mal aérés, renfermés, sans la Toison argentée qui scintille au-dessus de nos têtes. Un soupir traversa la barrière de mes lèvres; contenues dans cette expiration se trouvait ma lassitude et ma frustration. J’espérais pouvoir retrouver ces terres que nous avions dû quitter. J’espérais retrouver nos tanières, notre gibier, nos feuilles et nos fleurs. J’espérais tant de choses, nourrissais tant d’espoirs pour un futur que je souhaitais paisible et sans dommage, qu’au final, c’était presque certain que j’allais être déçue du résultat, si me désirs et mes rêves échouaient lamentablement. Mais je les désirais tous, pour faire du Clan du Ciel le meilleur de tous les Clans, à la mémoire de nos ancêtres, à la mémoire du Clan des Étoiles qui nous observait… Changer ce monde, c’est tout ce que je voulais. Et rien d’autre. Un sourire fugace joua sur les commissures de mes babines alors que je prenais une grande respiration. Le vent était doux, délicat comme de la soie; c’était bien le seul côté positif à avoir emménagé – provisoirement – chez l’ennemi. L’air de la montagne me revigorait complètement, et ça me faisait du bien de sentir l’air frais se répandre dans mon corps. Et j’expirais avec autant d’allégresse, mon esprit vidé, brièvement, de tous ses scandales et de mon ardent désir de puissance. L’air en altitude était finalement bien meilleur que ce que j’avais pensé au début.

Mais en un instant, la douceur et la sérénité du moment se brisa quand je perçus quelque chose. Je ne saurais dire quoi exactement. Des pas sur le roc, une respiration dans la brise, des yeux sur ma nuque? Je ne savais pas, mais cela suffit à me mettre sur mes gardes alors que j’entendais, avec encore plus de précision, l’avancée de l’individu derrière moi. Aussitôt, comme une deuxième peau, un air un peu idiot se dessina sur les lignes de mes traits alors que j’allais interpeller l’intrus. Membre du Roc ou pas, je n’avais pas encore décidé de montrer à quel point je pouvais être terrible quand je le voulais, alors autant garder la surprise encore un peu. Mais cette voix qui souffla, cette voix qui m’interpella en premier, me figea momentanément avant que je ne me tourne complètement.

« Crocs Argentés? »

Au moment où mon regard croisa le sien, je retirai cet air abruti de mon visage pour lui lancer un sourire, qui se voulait railleur, mais néanmoins implicite. J’étais troublée, oui, comme toutes les fois où il se trouvait à proximité. Mais je tentais à tous les coups de garder une certaine contenance, de me raisonner: le plus souvent ce qui arrivait, c’est que je pensais plus à lui qu’à autre chose, en essayant justement d’arrêter. Cependant, quand il décidait de me regarder, avec l’or qui cernait ses iris, j’étais comme piégée dans ses yeux si particuliers… si… Je me rendis finalement compte que je le dévisageais, et parvins à soustraire mon regard de son attraction. Rester forte et concentrée, je me disais. Mais quand il était là… c’était tellement compliqué! Alors je poursuivais avec un « Ce n’est qu’un allié. Ce n’est qu’un allié que j’admire énormément. » Encore ici, ce n’était pas vrai – du fait que ce que je ressentais pour ce matou de la guerre et de la loyauté était bien plus que ce que je voulais croire –, mais j’essayais de me protéger comme je le pouvais. Et même en me persuadant de cela, ça ne m’empêchait pas de rêver un peu et de me risquer, quelques fois, à jouer le tout pour le tout.

« Serait-ce une invitation à devenir ta reine? Depuis le temps que je l’attendais, j’ai failli perdre patience », me moquais-je en le gratifiant d’un regard amusé, léger, celui que j’offrais seulement et uniquement à lui.

De nouveau, je me remis face à l’horizon, observant le vide à mes pieds. Et au loin, l’ancien territoire du Ciel qui faisait pâle figure au cœur de cette verdure bien grasse qui l’entourait. Un sourire illuminant trouva passage sur mon visage alors que je contemplais notre ancienne maison. Peut-être se teintait-il de perfidie et de colère, mais plus encore, la mélancolie faisait partie intégrante de ce sourire pessimiste.

« Si c’est pour prévenir une nouvelle catastrophe, pour le bien du Clan, tu sais très bien que je ferais n’importe quoi. Une fois encore, je lui jetais un regard en biais. Et tu sais aussi que je te suivrais dans tout ce que tu entreprendras. »

Je laissais passer un moment avant de secouer la tête et de relever les yeux vers le ciel. Des fois, ma propre naïveté me surprenait, mais je n’avais rien à craindre, en tout cas, pas dans l’immédiat. Crocs Argentés était et restera toujours mon roi. J’avais une confiance inébranlable en lui et… et je souhaitais qu’il en soit de même pour lui, avec moi. Je veux dire, qu’il me considère comme sa reine… « Aaah! Si père aurait entendu ça, il m’aurait arraché la langue, littéralement. »