Je voulais m'envoler. Je voulais être libre, ne plus être enserrée dans ces chaînes glaciales qui me retenait prisonnière. Je voulais m'enfuir, m'évader pour toujours, être libre et sentir la caresse du vent sur mon visage. Je voulais quitter cette cage aux barreaux de glace qui me privait de mon bonheur. Je voulais déployer mes ailes blanches et m'envoler loin de toutes ces tortures, de tous ces bourreaux qui attendent, le sourire aux lèvres que je laisse ma place. Je ne voulais plus qu'on guette la moindre de mes erreurs pour me mettre au tapis, la moindre de mes fautes pour me plaquer au sol. J'en avais assez. Je ne voulais plus rien de tout ça, j'aspirais à autre chose. Echec et mat.

Mais comment s'enfuir, comme s'envoler si on a plus d'aile ? Comment décoller quand des chaines dont on a perdu les clés vous empêchent le moindre mouvement ? Comment un coeur brisé peut s'élever assez haut pour goûter la liberté quand il est cloué au sol par des filets de plombs ? Comment relever le nez de la poussière quand des pattes puissantes vous appuient sur l'épaule ? Non plus rien ne pourra me permettre de partir. Les chevilles accrochées au mur je suis condamnée à errer ici pour toujours. Et ce quelque soit ma volonté.

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Le bruissement des feuilles de la forêt sous mes pattes, le murmure du vent dans mes oreilles, la course furtive des écureuils que je mettais en déroute je l'entendais à peine. J'étais plongée dans mes pensées, trop profondément perdue dans les méandres de mon âme pour me rendre compte de ce qu'il se passait autour de moi. J'avançais au hasard sans intention précise, laissant mes pattes me guider sur le sol de la forêt familière. Les effluves des feuilles mortes, de l'humus encore humide à cause des averses récentes et celles des guerriers de tous les clans parvenaient à mes narines. Je n'étais pas très loin des Quatre Chênes. J’apercevais au loin les cimes des arbres centenaires, aussi vieux que la forêt elle même, aussi vieux que les Clans. J'accélérai l'allure, passant d'une marche lente à une course légère. J'éprouvais le besoin d'évacuer mes problèmes en les laissant derrière moi. Mais je savais que, même si je courais plus vite qu'eux, ils finiraient par me rattraper tôt ou tard et la bourrasque serait violente.

J'entendais le bruit de l'eau glaciale de la rivière. Les vagues heurtaient doucement les rocher dans un bruit d'éclaboussures. Un oiseau esseulé poussa un cri d'alerte à mon passage. J'avançais entre les fougères sur le sol meuble et boueux, salissant mon pelage fournis. Sur mon dos je sentais la caresse des frondes et tout autour de moi, je percevais la forêt en alerte. Des nombreuses pousses vertes avaient repris depuis l'incendie. Si les traces restaient évidentes malgré ces saisons écoulées, les taillis avaient eu le temps de repousser, bien sûr pas aussi dense qu'autrefois, il faudrait plus de temps, et la pluie avait fini par laver les traces de suie sur les troncs d'arbres. Mais avec la saison des Feuilles Mortes qui approchait les efforts de la forêt pour renaître de ses cendres allaient être réduits à néant, ensevelie sous la neige. Enfin, ce long repos lui permettrait de se reposer et de se purifier pour ainsi être prête lorsqu'elle les beaux jours seraient de retour.
Ressentant l'envie de voir la rivière couler, de sentir l'eau sur mes pattes salies, je sortis de la protection des roseaux et me dirigeai sur la plage de galets. Je restai immobile quelques secondes, le regard perdu dans l'eau limpide fixant de temps à autre un poisson argenté. Puis je redressai la tête et le vit. Ce guerrier, mon guerrier. Idéal Imparfait, chasseur aguerri de mon clan se tenait sur l'autre rive en me fixant, un sourire barrant son visage. Je frissonnai. Il était l'ancien apprenti de mon père et j'avais toujours eu peur de lui. Il le soutenait et sa mort l'avait beaucoup ébranlé. Comme à chaque évocation de mon géniteur mon pelage se hérissa légèrement. Secouant la tête j'essayai de me raisonner. Après tout n'étais-je pas ça cheffe ? Une cheffe qui avait bafoué le code du guerrier et tué de nombreux chats dans un incendie certes mais sa cheffe tout de même. Prenant une profonde inspiration je m'avançai vers l'eau et y rentrai sans la moindre hésitation. Son contact glacial ne me fit pas frissonner tant ce contact doux me fit du bien. Voilà longtemps que je n'avais pas nagé et cela m'avait manqué. Battant puissamment des pattes je luttai sans mal contre le courant et rejoignis la rive opposée en quelques secondes à peine, le pelage trempé collant à mon corps maigre. Je saluais mon guerrier d'un bref hochement de tête et décidai à jouer la cheffe polie envers ses guerriers. Peu importe d'où il vient après tout, peut être qu'il a oublié avec le temps.

« - Salutation Idéal Imparfait je ne m'attendais pas à te trouver ici. »